Le klaxon fit un coassement
enrhumé. Parfait. S’il y avait une clé, l’affaire était dans le sac. Il aurait
sans doute dû demander à Tom de s’en assurer d’abord. Mais à la réflexion ça n’avait
pas tellement d’importance. S’il n’y avait pas de clé, tout était probablement
fini.
Il referma le capot en s’appuyant
dessus de tout son poids. Puis il s’approcha en boitillant de la portière du
conducteur et regarda à l’intérieur, sûr que la clé de contact ne serait pas là.
Elle y était pourtant, attachée à un porte-clés en similicuir orné des
initiales A. C. Avec d’infinies précautions, Stu se pencha et tourna la clé au
premier cran. Lentement l’aiguille de la jauge à essence commença à grimper. Il
restait un peu plus d’un quart de réservoir. Étrange mystère. Pourquoi le
propriétaire de la Plymouth, pourquoi ce A. C. s’était-il arrêté pour marcher
alors qu’il aurait pu conduire ?
La tête légère comme un ballon d’hélium,
Stu se souvint de ce Charles Campion, presque mort, qui était rentré dans les
pompes de Hap. Ce bon vieux A. C. a donc la super-grippe, une bonne dose. Phase
terminale. Il s’arrête, coupe le moteur – machinalement, parce que c’est une
habitude – et sort de sa voiture. Il délire. Il a peut-être des hallucinations.
Il se met à gambader au bord de la route en riant en chantant, en marmonnant, en
caquetant, et il meurt là. Quatre mois plus tard, Stu Redman et Tom Cullen
arrivent sur les lieux, les clés sont dans la voiture, la batterie est
relativement neuve, il y a de l’essence…
La main de Dieu.
N’était-ce pas ce que Tom avait
dit à propos de Las Vegas ? La main de Dieu est descendue du ciel. Et
peut-être Dieu avait-il laissé là cette vieille Plymouth 70 pour eux, comme la
manne dans le désert. C’était une idée folle, mais pas plus folle que celle d’une
vieille noire centenaire conduisant une bande de réfugiés vers la terre promise.
– Et elle fait encore
elle-même ses crêpes, grinça-t-il. Jusqu’à la toute fin, elle faisait encore
ses crêpes.
– Qu’est-ce que tu dis, Stu ?
– Pas d’importance. Viens
par là, Tom.
Tom s’exécuta.
– On va faire de l’auto ?
demanda-t-il, plein d’espoir.
Stu abaissa le siège du
conducteur pour que Kojak puisse sauter à l’intérieur, ce qu’il fit après avoir
prudemment reniflé une ou deux fois.
– Je ne sais pas encore. Tu
ferais bien de prier pour que cette guimbarde démarre.
– Je veux bien, répondit Tom
avec beaucoup de courtoisie.